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L’échec politique en Haïti autorise une remise en question de la démocratie à l’occidentale

Max Guybert Lyron

Le parcours politique d’Haïti au cours des dernières décennies s’est déroulé sur un échiquier complexe, forgé par les séquelles historiques, les crises chroniques et une perpétuelle aspiration pour un avenir meilleur.

Nous assistons aujourd’hui à la matérialisation des conséquences des choix – directement ou indirectement – en matière de gouvernance politique, mais également sociale et économique, puisque tout effort de dissociation ne ferait qu’altérer l’essence de la démarche.

Nous essayerons donc de mesurer les défis actuels à la lumière des pratiques de gouvernance et régimes politiques qui ont marqué notre histoire récente. Notre analyse propose néanmoins un regard critique sur la démocratie, ce système que nous essayons en vain d’embrasser au détriment de modèles alternatifs. Une singulière opposition théorique est déjà à l’œuvre.

D’une part, il y a la démocratie, idéalement, l’exercice du pouvoir par le peuple, favorisant la participation citoyenne, les libertés individuelles et l’état de droit. Une définition qui semble éclipser son objet propre, puisqu’il s’agirait davantage d’encadrer (contrôle) l’action de ceux qui détiennent le pouvoir, pour éviter qu’ils en abusent (Popper).

D’autre part, les autres modèles sont souvent présentés, peut-être à tort – l’influence occidentale aidant – comme totalitaires, autocratiques, au détriment des droits et des libertés des citoyens.

Haïti et l’expérience de la dictature

Il faut bien reconnaitre que l’ombre de la dictature, incarnée notamment par les Duvalier, et les Tonton Makout continue de hanter la conscience collective haïtienne. Ces décennies de règne autoritaire et répressif ont laissé des cicatrices profondes, marquées par l’extorsion, les massacres et la terreur, sous un régime qui avait carte blanche pour « tourmenter sa population » (Guez, 2019).

Pour les innombrables victimes, s’opposer au régime signifiait s’exposer à des représailles brutales. Ce dernier réfrénait également la liberté d’expression (notez pour la suite) pour se maintenir au pouvoir. En ce sens, consentons que la signification du concept dictature paraît être un stade ultime de perversion d’un modèle autocratique.

Au cours des 40 années qui ont suivi, le pays oscille entre espoirs déçus et crises récurrentes. Cette démocratie, jeune, fragile et souvent dysfonctionnelle, a échoué à répondre aux aspirations du peuple. Nous avons en vain cherché les causes de cette instabilité ailleurs.

Aussi, face au chaos qui s’est progressivement installé depuis les deux dernières décennies (2003-2023), est-il à craindre qu’en Haïti également, la démocratie semble être capable du pire. Constat sans jugement.

S’il fallait donc s’opposer au régime des Duvalier pour être persécuté, ce préalable ne tient plus, puisqu’aujourd’hui, nous sommes tous, pour le moins, contraints à une certaine forme d’exil.

De la modélisation des discours

Indéniablement, les médias, acteurs incontournables de l’espace public, ont joué un rôle prépondérant dans le combat pour l’avènement de cette démocratie. Elle était alors porteuse d’espoir. Ces derniers se sont particulièrement investis dans l’arène informationnel, pour mobiliser les esprits et susciter un engagement collectif. Ce combat a en outre été celui d’une reconquête : la liberté d’expression.

Paradoxalement aujourd’hui, alors que les moyens techniques facilitent davantage l’accès à l’espace public, chaque acteur même individuellement, ayant acquis le pouvoir de diffusion, nous constatons que nous sommes davantage impuissants à dégager un discours capable de susciter l’engagement libérateur dont nous avons désespérément besoin.

Nous constatons à l’occasion, que le rapport des publics face à l’actualité a au mieux, contribué à alimenter une psychose collective paralysante. En se limitant à une simple veille de l’espace médiatique, elle-même privée de tout pouvoir d’action.

De ce constat, le plus préoccupant reste la polarisation politique qui engourdit les capacités de remise en question de nous-mêmes (l’impossible débat contradictoire). Ce refus conscient de considérer des alternatives au modèle démocratique traditionnel peut être perçu comme un déni suicidaire. Nous demeurons ainsi Prisonniers de la dynamique, même face à l’échec manifeste du modèle actuel.

Explorer des alternatives

Le moment est peut-être venu d’avoir un regard panoramique sur le monde, alors que ce dernier opère une remise en question du modèle occidental dans ses dimensions politique (avenir de la démocratie), économique (capitalisme, fin de l’hégémonie du dollar, BRICS) et social (valeurs et libertés), qui devrait nous interpeller.

Un parallèle s’impose donc entre le chaos qui règne en Haïti et l’instabilité provoquée un peu partout ailleurs (Afrique, Afghanistan). La toile de fond reste la même : l’échec du néo-diffusionnisme, convoqué par l’importation (imposition plutôt) d’un modèle démocratique inadapté. Il ne s’agit pas que de questionner la pertinence de ce modèle, mais plutôt de défendre et préserver l’autodétermination des peuples.

Les démocraties ne sont pas immunisées contre les abus de pouvoir. S’agit-il donc d’opposer cette « mauvaise démocratie » avec ce qui serait une « bonne autocratie » par la simple analyse de leurs conséquences respectives sur les populations ? Non. Il revient plutôt à prendre en compte les conditions discrètes qui façonnent les rapports des peuples à l’organisation politique : histoire, récits, culture, croyances, environnement…

Et si on embrassait notre identité ?

Cela nous offre l’opportunité de faire un retour critique sur nous-mêmes et notre identité africaine, ou de peuple libre. Au cours de l’Histoire, les peuples noirs ont dû lutter contre l’oppression, la discrimination et le déni de leurs droits fondamentaux. Malgré ces défis, il existe une forte tradition de résilience, de fierté et de lutte pour la justice (le bwa kale par exemple).

Mon invitation est de questionner les pratiques culturelles ancestrales qui pourraient offrir des pistes de réflexion pour l’avenir politique d’Haïti. L’exemple de l’arbre à palabres africain (lieu traditionnel où on se rassemble pour traiter des problèmes du village) traduit l’intérêt d’une organisation politique basée sur la justice et le respect.

La référence à l’autocratie est bien un prétexte pour une disruption dans le véhicule d’une pensée unique basée sur la diffusion de la démocratie occidentale. L’invitation est aussi d’aller au-delà de la vieille rhétorique du refus des modèles alternatifs, fussent-ils autocratiques, puisqu’il s’est avéré qu’il n’y a de salut qu’en une reconnaissance affirmée de nos origines, nos valeurs et nos aspirations profondes.